De la bipolarité et des addictions à la voie du cœur
J’écoute et je regarde le podcast, en version YouTube, enchantée. C’est étrange : je suis très rarement captivée au point de regarder 40 minutes sans accélérer ni sauter des passages. Simon Sinek parle avec Cory Richards, un photographe que je viens de découvrir il y a dix minutes sur Instagram. J’ai cherché des infos sur lui, trouvé une petite vidéo de trois minutes, regardé, puis recherché de nouveau… et me voilà ici depuis 30 minutes, sans que mon attention flanche.
Je ne sais pas encore qu’il y a une deuxième partie, et que je serai toujours scotchée à mon écran dans une heure.
Je regarde les yeux bleus de Cory, les pieds nus sur le fauteuil, j’écoute son honnêteté désarmante quand il raconte ses ascensions et ses chutes — au sens propre comme au figuré. Alpiniste et photographe, il est devenu célèbre pour être le seul Américain à avoir gravi l’Everest sans oxygène. Il a survécu à une avalanche, pris un selfie juste après, et cette image a fait la couverture de National Geographic. Tout cela sur fond de bipolarité, avec ses hauts et ses bas, et d’addictions diverses.
Son courage, ses exploits, son humilité, son humanité, sa lucidité, sa curiosité et son humour me font penser à mon ami marathonien, auteur d’autres prouesses : il a couru 100 marathons jusqu’à Gaza, en 100 jours, en 2024, pour œuvrer pour la paix. Je lui envoie un message, la vidéo, et le lien du livre, pour lui dire que Cory me fait penser à lui… ou l’inverse.
Sa réponse arrive un peu plus tard : il n’a pas eu le temps de regarder la vidéo, et je n’ai pas explicité les parallèles que j’ai perçus. Il a simplement lu la biographie de Cory en ligne, et la quatrième de couverture du livre :

“Diagnostiqué bipolaire à l’adolescence, il connaît l’internement, les fugues, et les addictions avant de se lancer à corps perdu dans ses deux passions : l’alpinisme et la photographie. J’ai voulu vivre follement pour échapper à la folie.”
Certes, mon ami n’a pas de problème de bipolarité, et ses motivations pour ses exploits sont tout à fait différentes. Mais ce qui me frappe, c’est que les informations qu’il a trouvées sur Internet ne traduisent pas du tout ce que je ressens, ce que je vois et ce que j’entends.
La vraie histoire
Ce que je vois et j’entends dans la vidéo me passionne, me captive. Je veux tout savoir. Cet homme a traversé le feu de son enfer personnel, et il en est sorti. Il en témoigne.
Le lendemain, je vais à la librairie, en espérant qu’ils aient ce livre. Après avoir cherché en vain au rayon sport et récits d’aventure, mes espoirs commencent à s’effriter. En dernier recours, je demande aux libraires occupés à bavarder au comptoir. D’après l’ordinateur, un exemplaire est en stock, quelque part. Je suis la jeune femme au deuxième étage, dans la section montagne. Tandis qu’elle cherche, mon regard tombe sur une couverture rouge, posée sur une autre étagère : Les brûlures de glace.
Je passe la journée à dévorer le livre, qui oscille entre souvenirs d’enfance, visites chez les psys et en institutions, explications scientifiques sur les troubles mentaux, et récits d’aventures. À la fin de la journée, je sais tout.
Surtout, je sais que le but du livre n’est pas du tout celui annoncé en quatrième de couverture.
Voici quelques extraits de la fin du livre, pour comprendre :
« Pour un individu, les histoires de santé mentale ont des racines profondes et peuvent se confondre avec un douloureux sentiment d’impuissance. Quand on apprend que quelque chose “cloche” chez nous, il est facile de forger une identité autour de cela et de croire qu’on est tordu, sans rémission possible. »
[…]
« Je ne pouvais plus que m’efforcer de survivre au sentiment que certaines douleurs sont sans cause. Il était devenu clair que la vie n’est pas une série de choix. Très souvent, les expériences qui nous définissent sont celles que nous n’avons pas choisies. Cancer. Trahison. Fausse couche. Perte d’emploi. Maladie mentale. Un nouveau coronavirus. »
(Kate Bowler, No Cure for Being Human, citation dans le livre de Cory Ricahrds)« Parmi tout ce que nous ne pouvons pas choisir, notre histoire personnelle est une chose que nous pouvons choisir. En disant que vous pouvez choisir une histoire, je ne parle pas des faits démontrables et de la science. C’est votre histoire que vous choisissez, pas si la Terre est ronde ou si le changement climatique est réel. Je ne prétends pas que vous guérirez en croyant que vous n’avez pas de cancer ou que vous n’êtes pas bipolaire. Les morts du cancer et ceux qui ont porté toute leur vie une maladie mentale sont beaucoup plus nombreux que ceux qui ont guéri grâce à la pensée positive. Suggérer que ces gens ont souffert et sont morts parce qu’ils n’y croyaient pas est arrogant et cruel. Le déni ne change pas les faits fondamentaux. Le cerveau peut sans aucun doute guérir le corps, et la pensée positive présente de réels avantages. Mais parfois, les faits sont là.
Choisir notre histoire, c’est prendre du recul et examiner honnêtement nos pensées et nos croyances. À partir de cette authenticité, nous pouvons reprendre la façon de raconter le voyage.«
[…]
« Je sais combien s’accrocher à la souffrance peut être séduisant : je l’ai fait. À bien des égards, on s’y sent en sécurité. Je sais à quel point une identité fracturée peut être puissante : j’ai eu de nombreuses versions de cette histoire. Dans l’une, j’ai un esprit tordu que j’ai désespérément besoin de redresser ; dans une autre, je suis au-delà de la rédemption, plein de comportements déviants qui blessent les gens ; dans celle-ci, je m’accroche à toutes mes erreurs et à ma honte ; dans celle-là, mes fractures alimentent ma créativité, et j’ai besoin d’être torturé pour créer ; ou encore, je suis un fardeau, isolé, hors d’un monde que je peux voir mais pas toucher. J’ai raconté et vécu toutes ces histoires.L’histoire de ma vie, de mon cerveau et de mon cœur que je choisis maintenant est la suivante : j’ai un bel esprit, unique et sauvagement créatif. Il est parfois un peu lunatique. Il s’est développé pour survivre, et en survivant, j’ai prospéré. Il m’a poussé à faire de belles choses et à découvrir le monde. Je ne suis pas impuissant face à ma sensibilité. Ma sensibilité me donne du pouvoir. J’écoute mon esprit même quand il part en vrille. Et de plus en plus souvent, je laisse mon cœur guider le navire. Ce n’est pas une histoire d’espoirs irréalistes, de bonheur ou de perfection. Si je suis attentif, ma polarité peut être ma profondeur. Elle m’a donné à explorer. Voilà l’histoire que je propose à tout le monde. »
Le but de son livre, de ses interventions, de ses conférences, c’est ceci : si je l’ai fait, vous pouvez y arriver aussi.
Il y a autant d’enfers que de personnes. Peut-être que ses mots ou ses problèmes ne vous touchent pas. Moi, je ne suis pas alpiniste. Et pourtant, lorsqu’il évoque la perte d’identité — ne plus être alpiniste, ni photographe, ne plus être reconnu comme tel — et la question cruciale : Qui suis-je si je ne suis plus ce que les autres voyaient en moi ?, je me sens profondément concernée. (Si vous avez suivi mes newsletters de ces derniers temps, vous savez pourquoi 🙂
Bien sûr, Cory Richards n’y est pas arrivé seul.
Il n’y est pas arrivé rapidement.
Mais il y est arrivé.
Et maintenant qu’il y est, il possède une force et des capacités pour affronter les épreuves à venir. Car la vie, inévitablement, en amène d’autres.
“L’acceptation est l’œuvre du silence et du cœur, et l’espace où toute guérison a lieu. Rien n’a jamais été brisé. Être brisé, c’est une histoire comme une autre. Je suis. Nous sommes tous. Incassables.”
Il ne parle pas de thérapie narrative dans son livre, mais il parle d’histoires de vie, les raconte au fil des pages, et l’on perçoit son évolution intérieure. C’est précisément le cœur de la thérapie narrative : travailler avec les histoires difficiles. Et il en est le vivant témoignage.
Alors si vous portez des histoires qui vous enferment, qui vous figent dans un passé douloureux et vous empêchent d’avancer vers la vie à laquelle vous aspirez, sachez qu’il est possible – avec de l’aide – d’avancer dans cette direction.
Et je peux vous y accompagner.
📹 Les vidéos :
https://www.youtube.com/watch?v=ZvQ4K1JpvFI
https://www.youtube.com/watch?v=BjHDH9jUVGs
📚 Le livre :
https://www.editionspaulsen.com/guerin/804-les-brulures-de-glace.html
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